COP, Politique

Un bilan de 27 COP

Par Valéry Laramée de Tannenberg

Le 28e conférence des parties à la convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques s’ouvre, le 30 novembre, à Dubaï. Inutile événement pour certains, indispensable forum pour d’autres, quel bilan objectif peut-on tirer de ces sommets onusiens ? Répondre à cette question suppose de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur de l’histoire.

Rendez-vous au sommet de la terre de Rio, en juin 1992. Durant cette Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, les dirigeants de 179 pays adoptent la Déclaration de Rio, la Déclaration sur la gestion des forêts, la convention sur la diversité biologique et, pour le sujet qui nous intéresse, la convention cadre sur les changements climatiques (CCNUCC). Viendra quelques mois plus tard, la convention sur la lutte contre la désertification, intimement liée à la précédente.

Pas d’objectif, pas de plan d’action

Longue de 25 pages à peine, la CCNUCC fixe à ses signataires un objectif clair mais flou : stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre (Ges) « à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ». Clair, car il s’agit de réduire nos émissions de gaz carbonique, de méthane, de protoxyde d’azote et autre hexafluorure de soufre. Reste à définir la perturbation anthropique dangereuse. En 1992, la concentration de CO2 dans l’atmosphère est de 356 parties par million (PPM), en progression de 0,4 % par an. Quelle teneur en carbone dans l’air ne devons-nous pas franchir ? A l’époque, personne ne peut répondre à cette question, pas même les rédacteurs du premier rapport du Giec [1]. D’où l’impossibilité de déterminer un budget carbone optimal et le plan d’action qui va avec.

Une convention internationale n’est efficace que si ses signataires la font vivre. C’est le cas de la CCNUCC. Son secrétariat organise une conférence des parties (COP)[2], sorte de parlement où les décisions se prennent à l’unanimité. Durant la quinzaine que dure une COP, les parties négocient. Sur tout : l’agenda du sommet, les règles encadrant la mise en œuvre d’objectifs fixés par la Convention, les obligations des uns et des autres, la fixation de nouveaux objectifs.

La première COP à produire des effets visibles fut la troisième du nom, organisée en décembre 1997 à Kyoto (Japon). A l’issue d’âpres négociations, le sommet amende la Convention. Ce protocole de Kyoto oblige les 41 Etats les plus développés (regroupés en une annexe B) à réduire de 5 %, en moyenne, leurs émissions de Ges entre 1990 et 2012. C’est la première fois que des pays doivent adapter leur modèle de développement à la contrainte climatique. Malgré des déboires[3], le pari est tenu. En 2012, la quarantaine de pionniers atteignent le but, en partie grâce à la chute du bloc soviétique — qui a arrêté l’activité de nombre d’industries lourdes — et à la crise économique mondiale de 2009. Cet décarbonation obligée a suscité des vocations. En 2008, l’Union européenne publie le « paquet énergie-climat ». Ce train de mesures vise à réduire de 20 % les émissions de Ges des 28 entre 1990 et 2020.  

Merci la Covid

En 2012, la COP est, chose inédite, organisée par un pays producteur de pétrole : le Qatar. La conférence des parties de Doha prolonge de sept ans le protocole de Kyoto. Au terme de la phase 2, en 2020, les Etats assujettis audit protocole devront avoir abattu de 18 % leurs émissions de Ges par rapport à 1990. Là encore, la mission sera accomplie, non sans l’aide de la Covid-19. En confinant le tiers de l’Humanité, la pandémie a fait chuté de 6 % les rejets carboniques anthropiques entre 2019 et 2020.

Le monde du climat est divisé en deux catégories : les pays qui sont soumis à des obligations (en gros, les pays membres de l’OCDE) et les pays émergents et en développement qui n’ont aucune contrainte climatique. Entérinée dès 1992, cette division a rapidement posé problème. Le 25 juillet 1997, le sénat américain adopte, à l’unanimité, une résolution indiquant qu’il ne ratifiera jamais un accord international obligeant les États-Unis à réduire leurs émissions de Ges en exonérant les grands pays émergents (Chine et Inde, notamment). Cette position explique en partie le retrait américain dudit protocole quatre ans plus tard. Mais pas seulement.

Le débat sur la contrainte carbone est aussi vieux que la CCNUCC. Il oblige les gouvernements des pays émergents à quelques acrobaties. Seconde puissance économique mondiale et premier émetteur mondial (depuis 2004 !), la Chine refuse d’être intégrée aux pays les plus développés. Soutenue par l’Inde (troisième émetteur planétaire), le Brésil et l’Indonésie, (deux autres gros émetteurs), Pékin bataille depuis des années pour être exemptée de toute contrainte carbone.

Leur position est logique. Depuis qu’elle a entrepris de rattraper son retard économique sur les pays occidentaux, la Chine assoie son développement à grande vitesse sur la consommation effrénée d’énergies fossiles. Résultat : entre 1990 et 2020, l’empire du milieu a pratiquement quadruplé ses émissions de Ges. Dans le même temps, l’Inde a plus que doublé les siennes, tout comme le Brésil, l’Indonésie ou la Turquie.

Les juristes ont introduit dans la CCNUCC le principe des « responsabilités communes mais différenciées ». Dit autrement, tous les pays doivent participer à la lutte contre le changement climatiques, mais ceux qui sont responsables du dérèglement climatique actuel[4] plus que les autres.

Obama se hausse du col

Par leur interprétation stricte de ce principe, Pékin et ses alliés ont bloqué bien des COP. A Bali, en 2007, les parties devaient imaginer de futurs objectifs d’abattement des émissions. La décision finale n’en mentionne aucun. Une note de bas de page pointe toutefois vers trois pages du quatrième rapport du Giec qui esquissent un projet d’accord : tous les grands émetteurs doivent réduire leurs émissions ; les objectifs chiffrés d’abattement seront fonction du niveau de réchauffement visé.

Cet affrontement entre Nord et Sud est l’une des principales causes de l’échec relatif de la COP de 2009. Certes l’accord prévu n’y fut pas adopté. Mais c’est lors de ce sommet organisé par le Danemark que les pays occidentaux promettent de verser 100 milliards de dollars par an aux pays les plus vulnérables entre 2020 et 2025. C’est encore là que fut créé le Fonds vert pour le climat dédié au financement de l’adaptation des pays les moins nantis. Dans ses mémoires, Barack Obama se vantera d’être l’architecte de ce demi-succès.

Il faut attendre la COP de Paris, en 2015, pour que soit enfin conclu un « accord universel » sur le climat. S’il n’impose pas d’objectifs chiffrés de réduction d’émission, il fixe un but : stabiliser le réchauffement entre +1,5 °C et +2 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Par calcul, cela permet d’évaluer l’ampleur de l’effort à accomplir : faire chuter de moitié les émissions mondiales de Ges d’ici à 2030. L’accord de Paris commande aussi d’atteindre la neutralité carbone au mitan du siècle. Pour ce faire, tous les pays devront publier une esquisse de politique climatique qui sera régulièrement remise à jour : les contributions nationales déterminées (NDC).

Ce texte a grandement contribué à faire bouger des lignes que l’on pensait intangibles. En 2019, l’Union européenne annonce un ambitieux plan de décarbonation. Ce Pacte vert ambitionne de réduire de 55 % les émissions communautaires entre 1990 et 2030. Abondé par plusieurs sources, le budget consacré à la lutte contre le changement climatique est fixé à 1 000 milliards d’euros entre 2021 et 2030.

Tectonique diplomatique

Aux États-Unis, la victoire de Joe Biden change aussi la donne. En quelques mois, le président démocrate fait adopter par le Congrès deux lois[5] permettant au gouvernement fédéral d’investir plus de 1 500 milliards de dollars en dix ans dans la modernisation des infrastructures (le réseau ferré) et la décarbonation de l’économie (énergies renouvelables, stockage souterrain du CO2). Washington espère que cet effort financier inédit permettra à l’hyperpuissance d’abattre de moitié ses émissions entre 2005 et 2030. Le mouvement est suivi par la Chine. En mars 2021, Pékin publie son 14e plan quinquennal. Entre 2021 et 2025, l’économie chinoise devra faire baisser de 18 % son intensité carbone. Une étape essentielle avant le plafonnement des émissions, prévu pour 2030 et la neutralité carbone fixée à 2060. Ce sont désormais 140 pays qui visent la neutralité carbone pour les décennies qui viennent. Inimaginable, il y a encore cinq ans.

En trois décennies, les COP ont accéléré la tectonique dans un monde en mutation rapide et profonde. A l’aube des années 1990, les pays du nord émettaient 44 % des émissions anthropiques contre 31 % pour les principaux pays émergents. En 2022, le nord est responsable du quart des rejets carbonés mondiaux : deux fois moins que ceux des plus émetteurs des pays du sud[6]. Il y a trente ans, aucun objectif n’était fixé. Le monde s’oriente vers une baisse de moitié de ses émissions, probablement pour les années 2040. Le mouvement n’est pourtant pas suffisamment rapide. En 2019, l’humanité a expédié 52 milliards de tonnes de Ges : 57 % de plus qu’en 1990.

Totalement inutiles les COP ? Pas totalement. Leur mission est quasi impossible : convaincre près de 200 pays de changer de modèle de développement en quelques décennies ; inciter la « finance » privée à financer toujours plus de projets de transition énergétique et d’adaptation (réputés non « bankables ») ; inviter des pays à deux doigts de la guerre à travailler de concert ; favoriser la coopération entre des nations qui ont tout et d’autres qui n’ont rien. En 2022, la COP de Sharm-el-Sheikh s’est achevée sur la promesse de créer un fonds « pertes et dommages » grâce auquel le Nord financera l’adaptation des pays les plus vulnérables. Sujet qui sera au cœur de la COP de Dubaï.

Bien sûr, la réussite n’est pas présente à chaque opus. Mais quelle autre instance pourrait jouer plus efficacement ce rôle de parlement démocratique du climat mondial ? Ne cherchez pas, il n’en existe aucune. Voilà pourquoi, malgré des années d’attentisme et de frustration, les COP sont importantes. Et si cela n’était pas le cas, voilà des lustres qu’elles seraient désertées par les lobbyistes, les journalistes, les ONG. Et les gouvernements.


[1] Le premier rapport d’évaluation du Giec est publié entre 1990 et 1992.

[2] Dans le contexte onusien, une partie est un Etat signataire d’une convention.

[3] Les États-Unis et le Canada, son allié le plus proche, dénoncent le protocole de Kyoto, respectivement en 2001 et en 2011. Le Japon les suivra en

[4] En gros, les pays d’Europe et d’Amérique du nord.

[5] Les lois sur les infrastructures et sur la réduction de l’inflation.

[6] Chine, Inde, Russie, Afrique du Sud, Brésil, Indonésie, Mexique, Turquie, Arabie Saoudite.

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À propos de l'auteur


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Valéry Laramée de Tannenberg

Rédacteur en chef de L'Usine à Ges, Valéry commente les COP depuis 1997. Il a "climatisé" les journaux qui l’ont vu passer : Jeune Afrique, Environnement Magazine, Enerpresse, Journal de l’Environnement. Il est l’auteur de 4 ouvrages sur le climat. Dernier paru : Agir pour le climat, entre éthique et profit (Buchet-Chastel).