Dix jours durant, l’ancienne capitale d’Allemagne a accueilli le traditionnel pré-sommet sur le climat. Houleuse, cette réunion permet d’entrevoir les priorités de la présidence émiratie de la COP 28. Décryptage.
Les pré-COP se suivent et ne se ressemblent pas. Les pré-COP sont des répétitions générales à la COP-climat. Elles réunissent, chaque année au mois de juin, des milliers de négociateurs, délégués nationaux, observateurs, lobbyistes à Bonn, siège du secrétariat de la convention onusienne sur le changement climatique (CNUCC).
Les discussions se sont tenues dans l’ancienne capitale de l’Allemagne fédérale du 5 au 15 juin. Dix journées durant, les « pros » de la négociation climat ont fait le point sur les financement, l’état du Bilan global (Global Stocktake, GST), les financements, la mise en œuvre du fonds sur les pertes et dommages. Bonn 2023 était aussi l’occasion de s’accorder sur l’agenda de la COP 28, qui doit s’ouvrir le 30 novembre prochain.
Dossiers en suspens
Ne faisons pas durer le suspens, la plupart de ces dossiers sont restés en suspens. Preuve de l’incapacité de la présidence égyptienne et de la future présidence émiratie à faire régner un semblant d’ordre : l’agenda de la pré-COP a été officiellement adopté par les parties, l’avant dernier jour de la conférence ! Mémorable ! « Ce délai était injustifiable. Pour autant, ce n’est pas la pire des pré-COP que l’a vu. Des décisions ont été prises, aucun dossier n’a été bloqué », tempère un négociateur européen.
Les délégués se sont aussi écharpés sur les conclusions à tirer du sixième rapport d’évaluation du Giec, Nombre d’observateurs espéraient des décisions sur l’implantation du futur siège du réseau de Santiago sur les pertes et dommages, le futur objectif global d’adaptation, le contenu du GST. Dans ce dernier cas, c’est l’incapacité des pays d’Amérique latine et des Antilles à s’accorder sur un lieu d’atterrissage du secrétariat de cette organisation de prévention des risques naturels qui est à blâmer.
Fréquents à ce stade de la discussion annuelle, ces retards ne sont pas rédhibitoires. Plusieurs séances de rattrapage sont prévue en juillet (ministres MOCA à Bruxelles), septembre (ONU à New York), octobre (FMI et Banque mondiale et Fonds vert) et novembre (pré-COP). Simon Stiell, le secrétaire exécutif de la convention climat, espère qu’elles permettront de faire avancer les dossiers de la finance climat, des pertes et dommages, de l’adaptation et du GST. Ce dernier dossier, a rappelé l’ancien ministre de l’environnement de la Grenade, « déterminera le succès de la COP 28, et bien plus important notre capacité à stabiliser le climat. »
Reporté en revanche à 2024 des décisions sur les émissions du transport aérien et du fret maritime, la publication des inventaires annuels d’émission des pays industrialisés, la prise en compte du réchauffement dans les questions agricoles, etc.
Quelles priorités pour la COP 28 ?
Le président-désigné de la COP 28, Sultan Al Jaber, était attendu pour présenter les dossiers qu’il compte pousser lors du sommet de Dubaï. Un exercice d’équilibriste compte tenu de ses propos récents. Début mai, à Petersberg, en Allemagne, le ministre de l’industrie des Emirats arabes unis avait imaginé conclure un accord sur la sortie non pas des énergies fossiles mais de leurs … émissions.
Traduction : continuons à brûler charbon, pétrole et gaz si l’on peut les décarboner (par captage et séquestration ou par extraction directe). L’agence internationale de l’énergie (AIE) professe qu’on n’atteindra pas la neutralité carbone en continuant d’exploiter de nouveaux gisements de brut, de gaz naturel ou de charbon.
Quelques semaines auparavant, le président de la compagnie pétrolière ADNOC avait appelé les gouvernements à sextupler les capacités de production d’énergie renouvelables d’ici à 2040.
Les deux ne sont pas incompatibles. Mais produire des hydrocarbures (en partie) décarbonés tout en déployant des énergies totalement décarbonées n’est probablement pas la solution la plus rapide ni la moins chère pour désaccoutumer nos économies du carbone. Reste que les pays exportateurs d’hydrocarbures ne rentreront pas dans le rang sans compensation ni longue période d’adaptation au nouveau paradigme énergétique.
Lancer la patate chaude à la France
Quelle sont les priorités du patron de Masdar ? Difficile à dire. Chaque président de COP gère son sommet comme il l’entend. L’an passé, la présidence égyptienne avait, dès Bonn, focalisé son action sur la création du fonds sur les pertes et dommages. Non sans succès d’ailleurs. En 2021, le gouvernement britannique, hôte du sommet climatique de Glasgow, avait profité de la pré-COP pour annoncer son intention d’obtenir des décisions fortes sur la sortie du charbon. Pari presque gagné. A Bonn, Sultan Al Jaber a rencontré du monde : représentants de la société civile, investisseurs, négociateurs.
L’occasion de présenter ce qui pourrait ressembler à une structure de décision pour la mi-décembre. Cinq priorités dominent :
– la publication du GST à l’issue de la COP 28,
– le lancement du processus des prochaines NDC (2025-2035),
– l’esquisse d’un objectif mondial d’adaptation,
– la transformation du système financier mondial,
– la mutation des systèmes agricoles.
« C’est une vision ambitieuse qui reste encore peu connue », reconnaît, un brin admiratif, un vieux routier des négociations climat.
Dans les jours qui ont suivi la clôture de la pré-COP, Majid Al Suwaidi, le directeur général (émirati) de la COP28 a appelé les Etats à doubler leur contribution à l’adaptation des pays les plus vulnérables et à faciliter la mise en œuvre du fonds sur les pertes et dommages. Une façon de lancer la patate chaude à la France qui organise, jeudi et vendredi, son sommet sur un nouveau pacte financier avec le Sud.
De cette réunion, qui n’attirera, pratiquement, que des chefs d’Etat et de gouvernement africains ne devrait sortir qu’une information : cette année, les pays les plus industrialisés devraient allouer plus de 100 milliards de dollars d’aides aux pays fragilisés par les conséquences du réchauffement. Un chiffre dont la véracité ne pourra être, malheureusement, confirmé par le FMI et la Banque mondiale qu’en … 2025. De quoi redonner la main aux organisateurs de la COP 28.
La Confédération vise désormais la neutralité carbone
Alors que les feux de la conférence de Bonn s’éteignaient, les électeurs suisses étaient appelés aux urnes. Au cours de cette votation, les Helvètes devaient approuver un projet de loi sur le climat. Le texte a été adopté par 59% des votants. Les cantons romands étant plus favorables à ce texte que les germanophones. La Suisse inscrit donc dans sa loi l’obligation d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Des aides financières seront créées pour inciter entreprises et ménages à adopter les techniques les plus sobres ou les moins carbonées. Bien plus consensuel que les taxes carbone du projet de loi sur le CO2 proposé en 2021. Il avait alors été retoqué par 51% des électeurs.