COP, Initiative, Marché

COP 28 : pourquoi le fonds émirati ne changera pas grand-chose

Par Franz Libor

La relative « faiblesse » des montants invoqués et les conditions de marché minorent considérablement l’ampleur de l’annonce du président des Emirats arabes unis. Explications

Comme rapporté par L’Usine à Ges, le pays hôte de la COP 28, les Emirats arabes unis, vient d’annoncer la création d’un fonds Alterra « dédié au climat » de 30 milliards de dollars, en association avec BlackRock, Brookfield et TPG. Cinq milliards de dollars doivent être orientés vers l’adaptation des pays émergents. Pour les 85% restants, les secteurs évoqués sont la transition énergétique, la décarbonation de l’industrie, les technologies climatiques et les modes de vie durables (« sustainable living »).

La communication en fanfare de cette annonce ne doit pas faire oublier que les montants sont relativement modestes. Au regard des besoins, d’abord : L’agence internationale de l’énergie les chiffre à  4 500 milliards de dollars par an d’ici à 2030 pour la transition énergétique. Mais aussi au regard de la surface financière des Emirats, dont le fonds souverain est doté de 2 500 milliards de dollars, et qui a investi ou co investi quelque 200 milliards de dollars l’an dernier dans l’énergie verte. Encore moins au regard de la taille des co investisseurs annoncés : Blackrock gère 8500 milliards de dollars, Brookfield 850 milliards et TPG 135 milliards.

La finance climat comme « classe d’actifs alternatifs »

Le gérant du fonds Alterra, la société émiratie Lunate, est présentée comme un « gérant d’actifs alternatifs expérimenté qui délivre des rendements supérieurs et contribue au développement des marchés de capitaux émiratis ». Les classes d’actifs « traditionnelles » sont les actions et les obligations cotées. Les « alternatifs » sont les actions non cotées, dont le « private equity », le capital risque et l’infrastructure.

Les investissements dans le solaire, l’éolien, les réseaux d’électrification, le stockage et une partie des investissements d’adaptation rentrent dans la catégorie « infrastructure » pour les gérants d’actifs. Et ils ont le vent en poupe. A cause de la montée des taux, et de l’inflation. Les actifs en question peuvent en effet être structurés de manière à générer des revenus indexés sur l’inflation, alors même que leur dette est à taux fixe. Le « private equity », au contraire, est en chute libre car sa rentabilité était basée sur un endettement à taux faible (Leveraged Buy Outs). Les « actifs alternatifs » sont ainsi très prisés actuellement par les fonds de pension et de placement pour fournir des rendements supérieurs à ceux des marchés cotés (notamment des obligations, dont le rendement est en baisse avec la hausse des taux).

Gestion d’actifs et développement

Sultan Al Jaber, qui préside la COP 28 et le conseil d’administration du fonds Alterra, évoque un accès au capital dans des conditions raisonnables (« affordable »). C’est toute la question. Car pour générer des « rendements supérieurs », et offrir une protection aux investisseurs du Nord contre l’inflation, le fonds Alterra devra structurer ses opérations de manière à ce que les contribuables et/ou les usagers/clients des projets dans les pays du Sud paient suffisamment cher.

Ce débat ne concerne d’ailleurs pas que les pays du Sud. Dans « Our lives in their portfolio, Why asset managers own the world », Brett Christophers (université d’Uppsala) a démontré que dans de trop nombreux cas, y compris au Nord, pour garantir la rémunération de leurs investisseurs, les gérants d’actifs prélèvent une rente trop importante sur des infrastructures de service public. Trop importante non d’un point de vue moral, mais d’un point de vue économique, en termes de rapport coût/bénéfice pour l’ensemble de la société (utilité socio-économique). La rentabilité cible d’un projet « alternatif » pour l’investisseur du Nord est de 15% par an minimum. Cela peut faire cher du kWh ; et un kWh cher ne favorise pas le développement.

La barrière de la convertibilité

L’initiative se targue de faciliter les fameux flux financiers Nord/Sud, qui peinent à se concrétiser depuis l’accord de Copenhague en 2009 au niveau (modeste) de 100 milliards de dollars par an. L’échec de cet engagement résulte d’une barrière structurelle monétaire. L’architecture monétaire actuelle, héritée de l’après guerre, n’autorise pas les pays émergents (sauf la Chine, qui a deux monnaies), a acheter des devises fortes sur les marchés. Il faut les emprunter, ou les générer par des exportations. 120 devises sur 140 dans le monde sont ainsi inconvertibles. Les financiers du Nord ont besoin de pouvoir convertir leurs investissements dans le Sud en devises fortes pour se rémunérer. Les lignes de crédit et les instruments de couvertures fournis par la Banque Mondiale et ses sœurs sont épuisées. Le fonds Alterra ne propose rien de nouveau à cet égard. Il butera sur les mêmes difficultés que toute les initiatives Nord Sud annoncées aux COP par des diplomates qui ignorent tout des réalités financières.

Désordre monétaire international

Les montants faramineux de devises fortes dont disposent le Dr Al Jaber ou Larry Fink, le patron de Black Rock, ne sont pas le résultat de leur excellente gestion, mais de l’usage intensif de la planche à billets par les pays du Nord depuis la crise de 2008. Il n’est pas difficile de prévoir que les pays du Sud qui manquent de devises, c’est-à-dire ceux qui n’exportent pas d’hydrocarbures, auxquels les institutions monétaires refusent de nouveaux crédits, n’auront que peu de marge de négociation pour monter les projets climatiques qui leur rapporteront des devises.

Le fonds Alterra se veut rassurant en évoquant « une transformation climatique positive, alignée avec les meilleures pratiques internationales et en transparence ». Prenons ceci comme un engagement de ne pas passer, avec un label « finance climat », le développement des pays pauvres à la scie circulaire.

Laisser un commentaire

Vous pourriez également être intéressé par


À propos de l'auteur


Photo of author

Franz Libor

Economiste de l'environnement, chargé de la rurbrique marchés du carbone de L'Usine à Ges.