Adaptation, Atténuation, COP, Politique

Bakou : la COP des financements ?

Par Valéry Laramée de Tannenberg

Devant se tenir du 11 au 22 novembre à Bakou, la 29e conférence des parties à la convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques évoquera les questions de financement de l’adaptation et de l’atténuation. Ainsi que de nombreuses autres thématiques. Revue de détails et pronostics d’échecs et de réussites.

Rarement on aura vu une conférence des parties à la convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques (COP) s’ouvrir sous de si mauvais auspices. A commencer par le contexte climatique. Le 24 octobre 2024, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publiait son rapport annuel sur l’écart existant entre les efforts que nous devons accomplir pour stabiliser le réchauffement aux niveaux fixés par l’accord de Paris (entre +1,5 °C et +2 °C) et le résultat prévisible des engagements effectivement pris par les Etats.

Verdict attendu de ce quinzième Gap Report : nous sommes très loin du compte. En 2023, nous avons émis 57,3 milliards de tonnes (Gt) de gaz à effet de serre, soit 1,3 % de plus que l’année précédente. Ce taux d’accroissement de la concentration de Ges dans l’atmosphère est 50 % plus élevé que celui comptabilisé, en moyenne, durant la précédente décennie.

Diminuer de 7,5 % par an les émissions de Ges

Pour stabiliser le réchauffement à 1,5°C à la fin du siècle, nous devons ramener les émissions anthropiques à 33 Gt/an en 2030, avant de poursuivre la baisse de nos rejets carbonés. Au vu de la situation actuelle, nous n’avons aucune chance de bloquer le thermomètre planétaire au niveau le plus ambitieux de l’accord conclu à l’issue de la COP 21. A moins de baisser de 7,5 % par an les émissions mondiales de Ges. Impensable. Sans inflexion de notre contribution au renforcement de l’effet de serre, le climat global s’échauffera de +3,1 °C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle.

Ce qui fera grimper le thermomètre hexagonal de +4 °C : exactement ce qu’annonce la trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (Tracc), base scientifique du troisième plan national d’adaptation au changement climatique.

Rareté de l’argent public

Autre nuage noir : le contexte international. Les tensions interétatiques imputables aux guerres entre l’Ukraine et la Russie et Israël et ses voisins sont à leur comble. Plus que jamais, la défiance s’est installée entre de nombreux pays du « Sud » et les nations occidentales. Ce climat délétère ne facilitera pas les négociations. La situation économique n’est pas brillante non plus. Certes, le Fonds monétaire international escompte, pour 2024 et 2025, une hausse de 3,2 % par an du PIB mondial.

Mais toutes les régions du monde ne seront pas logées à la même enseigne. Les Etats-Unis pourraient flirter avec une croissance de 2,7 % cette année. Ce serait presque trois fois plus que pour l’Union européenne. Ces prévisions pourraient être révisées (surtout pour 2025) en cas de retour à la Maison blanche de Donald Trump[1]. Plus que jamais, l’argent public sera rare.

Mauvaise nouvelle toujours : l’avancée des négociations pré-COP 29. En juin dernier, se tenait à Bonn la traditionnelle session de printemps des négociations inter-COP. Sept grands sujets y ont été évoqués :

Un dossier qui avance : les pertes et préjudices

Disons-le tout net, aucun de ces dossiers, sauf un, n’a progressé. Les tractations portant sur la concrétisation du Fonds « pertes et préjudices » (créé à la COP 27 et confirmé à la COP 28) ont donné lieu à quelques résultats positifs. La Banque mondiale a été confirmée dans son rôle d’hôte d’accueil des fonds pendant une période de quatre ans. L’institution de Washington ne jouera toutefois aucun rôle dans la collecte de l’argent, les décisions d’allocation de fonds ou l’identification, la préparation, l’évaluation, le suivi des projets financés par le fonds.

Les entités nationales chargées de la mise en œuvre et les bénéficiaires directs resteront seuls responsables de l’utilisation finale du fonds pertes et préjudices. Le Fonds a également désigné son directeur général : l’américano-sénégalais Ibrahima Cheikh Diong. Et le siège de ce nouveau véhicule financier a été fixé à Manille aux Philippines.

Stockage et méthane

Voilà la situation à moins de deux semaines de l’ouverture de la COP 29. Quelles en seront les principales thématiques ? Tout dépend à qui l’on pose la question. Le président azéri de la COP, l’ancien pétrolier Mukhtar Babayev, entend faire avancer quatorze initiatives, parmi lesquelles :

  • un nouveau fonds d’action pour le climat (Climate Finance Action Fund ou CFAC)[2],
  • un engagement visera à multiplier par six la capacité mondiale de stockage de l’énergie par rapport aux niveaux de 2022, pour atteindre 1 500 GW d’ici à 2030 (Global Energy Storage and Grids ou GESG),
  • l’intégration dans les prochaines NDC des émissions de méthane des décharges (COP-29 Declaration on Reducing Methane from Organic Waste ou DRMOW),
  • la plateforme de Bakou pour la transparence mondiale en matière d’action climat (Baku Global Climate Transparency Platform ou BTP).

Quel financement après 2025 ?

Pour les officiels onusiens, les buts de la COP 29 sont très différents. L’objectif numéro des négociateurs présents à Bakou sera de s’accorder le nouvel objectif collectif chiffré post-2025 (New Collective Quantified Goal on Climate Finance ou NCQG). Devant succéder, à partir de 2026, à la fameuse promesse des 100 milliards de dollars par an alloués aux pays les plus vulnérables par les nations les plus riches, le NCQG suscite déjà bien des passions. Au titre de l’article 9-1 de l’accord de Paris, les pays riches (les membres de l’OCDE en gros) doivent fournir un soutien financier aux pays en développement pour l’atténuation et l’adaptation. Le troisième paragraphe de ce même article stipule que les pays les plus industrialisés doivent jouer un rôle moteur dans le financement climat. Les pays émergents (la Chine, par exemple) pourront aussi contribuer à ces financements, mais sur une base volontaire (art.9-2).

D’où la question posée aux diplomates présents à Bakou : qui apportera de l’argent à qui et combien ? « C’est aux pays responsables de la situation climatique actuelle de faire preuve de responsabilité », estime Gaïa Febvre. Autre sujet d’importance : quelle forme prendront ces financements ? « Les dons ne sont pas comparables aux prêts qui alourdissent la dette », rappelle la responsable des politiques internationales du Réseau Action Climat

Les principaux contributeurs au financement climat (2020)

Financement climat fourni via les banques multilatérales de développement et les agences de l’ONU, hors flux de financement à titre bilatéral.

PaysMontant total (en Md$)
Japon13,3
Allemagne11,1
France8,3
USA7,6
Royaume-Uni3,9
Italie2,4
Canada1,7
Espagne1,6
Pays-Bas1,4
Suède1,3
Chine1,2
Norvège1
Suisse0,8
Australie0,8
Belgique0,8
Corée du Sud0,7
Inde0,7
Autriche0,6
Brésil0,5
Russie0,5
Source : ODI

L’établissement des règles d’application de l’article 6 de l’accord de Paris reste un gros morceau de la négociation. Il est d’ailleurs sur la table depuis la COP 24 de Katowice en 2018. Trois sujets seront abordés à Bakou. Le premier est le mécanisme d’octroi de crédits dans le cadre d’un marché carbone mondial, successeur du mécanisme de développement propre (MDP) du protocole de Kyoto. La COP pourrait adopter deux décisions prises, le 9 octobre dernier, par l’organe de supervision de l’article 6.4 (SBM) : une norme s’appliquant aux activités liées aux absorptions de CO2, une autre norme pour l’élaboration et l’évaluation des méthodologies.

Deuxième chapitre consacré à l’article 6 : le transfert de réduction directe (crédits carbone) entre pays à titre bilatéral ou multilatéral (ITMO). Les tractations porteront sur l’intégrité environnementale, la protection des droits humains et la transparence. Cette dernière discussion portera notamment sur la question des clauses de confidentialité des informations rapportées par les Parties après les échanges d’ITMO, qui empêcheraient la vérification de ces informations.

Sur les pertes et préjudices, la COP devra avaliser les décisions prises par le conseil d’administration du Fonds. Cela ne devrait pas poser de problème. à la condition de ne pas aborder la question des engagements fermes que devront prendre les gouvernement pour abonder le véhicule financier.

L’objectif mondial d’adaptation

Les diplomates devront aussi s’accorder sur la mise en œuvre de l’objectif mondial d’adaptation, adopté lors de la COP 28. Il s’agit surtout de choisir les indicateurs les plus pertinents pour mesurer les progrès accomplis dans l’adaptation, d’ici à 2030. Ces négociations ne devraient pas aboutir cette année. La COP 29 devra aussi faire le point sur l’engagement pris à Glasgow de doubler les montants alloués à l’adaptation entre 2019 et 2025. Selon l’OCDE, la communauté internationale a consacré 20,3 milliards de dollars à l’adaptation en 2019 et 32,4 Md$ en 2022. L’objectif pourrait être atteint. Autre point, moins glorieux : la vérification des plans nationaux (NAP) que les pays en développement doivent publier depuis … 2011.

Aux dernières nouvelles, seuls 58 d’entre eux ont soumis leur NAP à l’ONU. Soit un tiers des pays concernés. Selon le rapport publié en 2022 par l’équipe de Nicholas Stern, il faudrait consacrer au moins 1 000 milliards de dollars d’ici à 2030 pour financer les politiques d’adaptation. A Glasgow, le groupe des pays africains exigeait des pays industrialisés qu’ils versent 1 000 milliards de dollars par an, pour s’adapter et en réparation des préjudices déjà subis.

Moins tendues seront, peut-être, les discussions portant sur les suites à donner au Bilan Global (Global Stocktake) publié en amont de la COP 28. L’ONU veut notamment faire le point sur les grands engagements pris l’an passé :

  • triplement des capacités de production d’énergies renouvelables et doubler le taux annuel moyen mondial d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici à 2030[3],
  • réduction forte des émissions de méthane.

Les négociations portant sur la sortie progressive des énergies fossiles pourraient ne pas aboutir.

Autre sujet complexe : l’atténuation. L’ONU veut à tout prix que les prochaines NDC, qui doivent être envoyées à l’ONU avant le 10 février prochain, contiennent de nouveaux objectifs d’atténuation. Selon toute probabilité, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, les Emirats arabes unis et le Brésil devraient publier les leur pendant la COP 29.

Très suivi par les ONG, moins par les médias, le dialogue autour du programme de travail sur la transition juste (JTWP) poursuivra son bonhomme de chemin. Initié à Dubaï, l’an dernier, ce dialogue à haut niveau doit définir les conditions dans lesquelles les pays aux faibles revenus pourront sortir des énergies fossiles sans pénaliser leur population. Ces tractations doivent, en principe, se dérouler jusqu’en 2026.

Last but not least, les délégués à la COP 29 devront s’accorder sur le pays-hôte de la COP 31, en 2026. En vertu des règles onusiennes de rotation des régions organisatrices, cela devra être dans un pays de l’Europe occidentale, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou au Canada. Seules l’Australie et la Turquie ont fait acte de candidature.

COP 29 : quelles perspectives de succès ?
Au vu de l’avancée des négociations et du contexte géopolitique, L’Usine à Ges évalue les chances d’aboutissement des principaux dossiers qui seront examinés à Bakou.  

ThématiquesIssue probable
Nouvel objectif financement climat (NCQG)Blocage
Article 6.2Blocage
Article 6.4Succès possible
Pertes et préjudicesSuccès probable
Adaptation  Blocage
AtténuationBlocage
Bilan mondialBlocage
Transition justeSuccès probable
TransparenceSuccès probable
L’Usine à Ges


[1] L’élection présidentielle américaine aura lieu le 5 novembre 2024.

[2] Qui semble doublonner avec le Fonds vert pour le climat.

[3] Le coût de ces deux engagements a été chiffré par l’Irena à 31 500 milliards de dollars, pour la période 2024-2030.

Laisser un commentaire

Vous pourriez également être intéressé par


À propos de l'auteur


Photo of author

Valéry Laramée de Tannenberg

Rédacteur en chef de L'Usine à Ges, Valéry commente les COP depuis 1997. Il a "climatisé" les journaux qui l’ont vu passer : Jeune Afrique, Environnement Magazine, Enerpresse, Journal de l’Environnement. Il est l’auteur de 4 ouvrages sur le climat. Dernier paru : Agir pour le climat, entre éthique et profit (Buchet-Chastel).