Les diplomates peinent à s’accorder sur le cadre à fixer aux prochaines politiques climatiques nationales. Explications.
Ce dossier est au cœur des tractations en cours à Dubaï. Depuis le 30 novembre, négociateurs et diplomates s’acharnent à s’accorder sur les suites à donner au Global Stocktake (GST). Publiée cet automne par l’ONU, cette synthèse dresse un bilan globalement négatif des politiques climatiques nationales.
Le grand inventaire rappelle notamment que les promesses étatiques nous mènent à un réchauffement de +2,6 °C d’ici la fin de ce siècle : loin des objectifs fixés par l’accord de Paris. Nous mettre sur la voie de la neutralité carbone suppose d’abattre de 43 % les émissions anthropiques de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Or, les émissions ne cessent de croître.
195 États
Réunis à Dubaï, les négociateurs de 195 États doivent rédiger de concert un plan d’action répondant à cet objectif. Sa première mouture est « tombée » le 5 décembre. Elle est loin de répondre à la commande. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil à la partie consacrée à l’énergie, à l’origine de près de la moitié du renforcement de l’effet de serre.
Si importante, cette partie tient dans les quelques lignes qui constituent la trame du trente-cinquième paragraphe. Encore à l’état de projet, il propose tout à la fois de « sortir des énergies fossiles », ou « d’accélérer les efforts en vue de fermer les centrales au charbon non équipées de systèmes de captage de CO2 », ou de « mettre fin aux subventions inefficaces aux énergies fossiles », ou « d’accroître rapidement le déploiement de véhicules zéro émission ». Rayez les mentions inutiles.
Postures et promesses
Furieux de ce piètre résultat, Simon Stiell, secrétaire exécutif de la convention-climat, n’a pas mâché ses mots, ce mercredi 6 décembre : « pour le moment, le Global Stocktake n’est qu’un sac rempli de postures et de promesses sans ambition. »
Il est vrai que la rédaction de ces quelques phrases a donné lieu à une empoignade peu commune, même au sein d’une COP climat. Habituellement désunis sur les questions énergétiques, Chine, Inde et pays du groupe des pays arabes ont proposé, purement et simplement, de supprimer le paragraphe consacré à la décarbonation de l’énergie.
Moins brutaux, la Russie et l’Irak ont suggéré d’y intégrer le gaz naturel, en le considérant comme « une énergie de transition » : argumentaire péché dans les brochures des compagnies gazières. Revenant à la charge, le négociateur chinois a alors estimait que l’on pouvait accorder un répit aux énergies fossiles « pour réaliser la transition énergétique tout en assurant la sécurité d’approvisionnement en énergie. » Là encore, le refrain est connu.
Giec et accord de Paris
Le 4 décembre, le président du Giec, Jim Skea, avait rappelé que l’atteinte de la neutralité carbone impose de cesser de consommer du pétrole, du gaz et du charbon.
Les gouvernements de Trinidad et Tobago ont fait un pas de côté. Pour décarboner le secteur mondial de l’énergie, les deux membres de l’Alliance des petits États îliens (AOSIS) proposent « de sortir des énergies fossiles en fonction de ce qu’indiquent la meilleure science actuelle, les scenarii du Giec et les principes de l’accord de Paris. »
Cette formulation présente plusieurs avantages. « En se basant sur les scenarii du Giec, on évite le débat sur la sortie ou le déclin des fossiles (phase out/phase down). Et il est difficile pour des pays ayant mandaté le Giec pour synthétiser la science du climat de contester ses résultats », estime Natalie Jones, spécialiste des questions d’énergie à l’institut international du développement durable (IISD).
Encore quelques subventions
De son côté, l’Union européenne tente de sauvegarder quelques subventions aux fossiles. Le représentant des 27 a d’abord suggéré d’étendre les objectifs de décarbonation à tous les secteurs économiques et pas seulement à celui de l’énergie. ll a aussi proposé non pas de mettre fin à toutes les subventions aux énergies fossiles mais seulement à celles qui ne favorisent pas la lutte contre la pauvreté énergétique. Le spectre des gilets jaunes bouge toujours. Certains pays en développement estiment que c’est aux nations les plus développées d’engager sans tarder leur décarbonation. Encore un instant, monsieur le bourreau.
Sans objectif clair de décarbonation de l’énergie, le GST n’a pas non plus de calendrier. L’Union européenne propose de décarboner « aussi vite que possible. » La Corée du Sud préfère que cela soit fait « dès que possible en tenant compte les circonstances nationales. »
La partie financière n’est pas la moins touffue. Le Canada veut faire cesser tous les investissements publics international en faveur des centrales au charbon non équipées de système de captage de CO2. Toujours malins, les diplomates de l’AOSIS recommandent que l’estimation des besoins en financement prenne en compte le transfert de technologie et le renforcement des capacités.
Le texte, on le voit, est loin de sa version finale. Observer sa rédaction montre un phénomène inquiétant : la dislocation des groupes de négociations. Jusqu’à présent, les grandes options étaient portées par des coalitions de pays constituées au fil des ans : groupe Afrique, des petits États insulaires, du G77+Chine, de l’Union européenne. A mesure que les décisions à prendre questionnent les modèles de développement nationaux, l’unité de groupe se fissure. « Cette hyper fracturation empêche directement de forger des décisions significatives qui pourraient avancer l’adaptation pour les pays et les communautés qui en ont le plus besoin », confirme Émilie Beauchamp, chercheuse à l’IISD. Comme à son habitude, la COP va donc avancer lentement.
Envoyé spécial à Dubaï